Paul, notre Frère Antoine
Rares parmi vous sans doute, sont ceux qui ont aperçu la silhouette "d'un autre âge", marchant sur les accotements de nos petites routes bourguignonnes, saluant imperturbablement les automobilistes. Nous l'avons vu durant une quinzaine d'années, pratiquement à chacun de nos passages devant le grand mur de l'Abbaye de Cîteaux, plus fréquemment encore sur un pont de l'autoroute A31 entre DIJON et BEAUNE. Mes premiers élèves, adolescents internes dans un établissement proche de l'abbaye le nommaient "Moine Coucou" ; affection, moquerie, inquiétude... probablement un peu de chaque !
Paul était une énigme, un rêve, une apparition dans le brouillard entre chien et loup.
Dans un film de 54 minutes intitulé "Malgré la nuit" et réalisé en 2004, Marc Weymuller nous invite à faire la connaissance de Frère Antoine. Filmant son cadre de déambulation champêtre avec peu de commentaires et des sons précis, justes, sa caméra trouve le rai de lumière pour mieux retourner dans l'ombre profonde et mystérieuse de la forêt. Avec ce film, nous partageons une quiétude solitaire, simple, déterminée, illuminée, étrangement tournée vers les autres. Notre coeur bat au rythme des cognées de bûcherons, au pas de Paul, à ses balancements, à la cadence de sa respiration lente. Nos pensées vont aux interrogations, aux blessures que Frère Antoine raconte, déchirées par les rugissements des poids-lourds, doublés parfois d'un coup de klaxon comme un signe en réponse qu'on aimerait amical. Frère Antoine aurait pu brandir ostensiblement la croix chrétienne, mais non. Imperturbablement, Paul nous a tous salués gentiment de la main, jusqu'au jour où des jeunes lui ont offert la colombe de carton qui ne le quittera plus.
Il avait très volontiers ajouté le symbole de paix à son simple bonjour...
Les ouvertures de la bure laissent entrevoir un bel homme au corps noueux, à la peau tannée de soleil et d'intempéries. Comme pour s'excuser, sa voix chaude aux accents bourguignons, sincère et sans détours... :
"J'voulais simplement dire bonjour, mais y comprennent pas,
y comprennent pas, très peu comprennent,
très peu..."
Continue Paul, notre frère Antoine,
ils n'ont toujours pas compris...
" Frère Antoine ", ancien oblat de l'abbaye de Cîteaux, qui a passé une grande partie de sa vie à Charnay-les-Mâcon (Sâone-et-Loire), jusqu'à sa mort le 27 novembre 2018, était connu pour bénir les automobilistes de l'autoroute A6 du haut d'un pont. La commune lui a rendu hommage en nommant le pont de son nom vendredi 22 novembre.
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