La relève
A proximité du bas de la route du Col du Petit Saint Bernard, à 1100 mètres d'altitude, Orchis pallens, ou Orchis pâle, offre l'occasion d'une intéressante observation botanique en direct du talus, invitant également à consulter l'actualité des travaux scientifiques à son sujet.
L'Orchis pallens occupe une petite place parmi les Orchidées de couleur jaune, bien moins nombreuses que leurs cousines violacées ou pourprées. Elle est présente depuis le Caucase à l'est, et approche timidement de l'Atlantique par la chaîne des Pyrénées.
Optimale à l'étage montagnard, de 700 jusqu'à 2400 m, si on la dit rare, cela signifie qu'elle est :
- présente mais localisée dans les Alpes,
- très peu présente dans les Pyrénées, le Jura et le Massif-Central,
- absente des Vosges.
Voici tout de même deux printemps, dans deux endroits distants d'une dizaine de kilomètres, qu'Orchis pallens honore de son jaune pâle immaculé mes balades dans les alpages de Tarentaise.
L'intelligence adaptative et la complexité des stratégies reproductrices des Orchidées, seraient dues à la nécessité qu'elles ont rencontrée, en émergeant plus tardivement, d'avoir à s'imiscer dans un environnement végétal "suffisant" déjà très organisé.
Afin d'attirer à elle les insectes pollinisateurs, Orchis pallens a opté pour le leurre visuel :
ne produisant pas de nectar, elle imite la forme générale d'une autre plante, la Gesse printanière.
Les botanistes parlent de modèle et de mime ; respectivement dans le cas présent, la Gesse et l'Orchis.
Quand le modèle propose un calice nectarifère, le mime offre son éperon vide aux visites des insectes pollinisateurs, essentiellement des reines de Bourdons leurrées par l'apparence. La supercherie fonctionne d'autant plus que les plantes mime et modèle, sont géographiquement proches. En concurrence en tout début de floraison, la Gesse remporte tous les succès, puis, au fur et à mesure que son nectar s'épuise, les Orchis sont plus visités.
Si pour l'insecte, l'objet des visites est la quête de nourriture ; aux Orchis, elles donnent l'occasion de se débarrasser de leur pollen sur le front du Bourdon, et l'espoir de voir une autre fleur fécondée, si possible d'un autre pied d'Orchis pallens.
La hampe florale d'Orchis pallens peut comporter jusqu'à 30 fleurs. Des études conduites entre 1981 et 2006 en Pologne, Autriche et Allemagne, relèvent des taux de fécondation allant de 10 à 60%, soit une moyenne de 8 fleurs fécondées par plante.
L'Orchis pallens est une espèce réputée peu variable, donc facilement reconnaissable... pour qui l'a déjà rencontrée.
Outre qu'elle présente une anatomie parfaite, rosette de feuilles basilaires luisantes bien étalée, tige et épi floral 2019 en cours de croissance, notre sujet du talus a la délicatesse de présenter ce qui reste de son ascendant de 2018 : une hampe florale desséchée.
Cette tige sèche depuis juin-juillet 2018, époque de fin de floraison, résistant pendant 8 à 9 mois aux vents, aux pluies, aux chutes de neige, aux piétinements. La plante met à profit cette longue période de repos, pour reconstituer des réserves souterraines sous la forme du nouveau tubercule qui lui permet de "renaître" en 2019 sous nos yeux.
Sur la hampe florale de 2018 s'accrochent encore 4 ou 5 capsules sèches. Elles sont ce qui reste des ovaires fécondés au printemps dernier. Ils avaient alors l'apparence trompeuse de pédicelles entre fleurs et tige. Des fleurs, il ne reste que les périanthes "momifiés", réduits à leur plus simple expression de minuscules étoiles "archi-sèches" au sommet des capsules.
Chaque capsule a accueilli 6139 graines en moyenne selon la même étude, soit pour un seul Orchis à 8 capsules, près de 50 000 graines aujourd'hui dispersées au vent.
Carl Von Linné et Charles Darwin, deux grands noms des sciences du vivant, le premier au 18ème, le second au 19ème siècle, ont calculé que, si toutes les graines d'un seul pied de Dactylorhiza maculata à la fructification aussi productive en semences qu'Orchis pallens parvenaient à germer, ainsi que tous leurs descendants, il suffirait de 4 générations (4 ans) pour que la surface de la terre entière soit couverte d'Orchidées...
Autant dire, au vu de la rareté (relative) de nos mignonnes coquines, que la germination d'une seule des 50 000 graines annuelles d'un pied d'Orchidée spontanée n'est pas gagnée d'avance !
Au fait, nos deux Orchis pallens de la route du Col du Petit Saint-Bernard sont-ils issus d'une graine de 2018 ?
Le Villard dessus - SEEZ (73) - clichés du 1er mai 2019
© F6
mai 2019
Pour en apprendre encore sur Orchis pallens chez Françoise, par exemple pour voir le Bourdon leurré en plein travail :
Orchis pallens (Orchidaceae) Plante robuste de 15 à 30 cm, présente à l'étage montagnard dans les bois, les pâturages ombragés, des Alpes, des Pyrénées Orientales et Centrales, du Dauphiné, de la Provence et du Cantal, se rencontre de 400 à 2400 m, sur sol calcaire à légèrement acide feuilles larges,
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