Quartier des Alpins

En 2012, "le 7" a quitté BOURG-SAINT-MAURICE et la Savoie pour VARCES en Isère. Après 50 années de présence dans la ville au coeur du massif, le départ des 1200 militaires du 7ème Bataillon de Chasseurs Alpins laisse un grand vide. Tous les bâtiments de l'ancien Quartier Bulle renommé Quartier des Alpins ont été rasés, mis à part deux d'entre eux conservés comme témoins du passé militaire. Une vaste zone d'activités touristiques et commerciales est entrain de voir le jour sur le site de 10 hectares. En remplacement des 1200 chasseurs, 1500 lits d'hôtellerie dans 3 établissements sont prévus, destinés à "des clientèles haut de gamme, segment peu touché par les difficultés économiques" (termes extraits de : synthèse commission Unité Touristique Nouvelle - ZAC des Alpins - février 2014)...

Profitant de bonnes conditions écologiques, "d'autres militaires" continuent d'avoir leur garnison en Tarentaise. Un régiment botanique d'Orchis Militaris, composé de milliers de militaires débonnaires, colore et égaye en ordre dispersé par-ici un fossé, par-là un talus, ailleurs une clairière humide ou encore l'intérieur d'un lacet de route de montagne. Qu'ils soient d'éclaireurs avancés, ou bien en formation d'escouade, les portraits des individus qui suivent ont été pris en différents endroits du Versant du soleil, au gré de deux promenades.

Suivons le guide !     

Dès l'Antiquité, les botanistes ont qualifié cette Orchidée de militaire (Couillon strateumatica) en raison du casque formé par les 3 sépales associés aux deux pétales supérieurs qui coiffent un labelle en forme de silhouette humaine (le troisième pétale extravagant). Si l'Antiquité avait connu des religieux(ses) à cornettes en tenues de carnaval violettes, peut-être aurait-on attribué un autre nom à nos Orchis ? 
Ces "militaires" n'ont vraiment pas l'air sérieux..., encore moins belliqueux !

La gent militaire se distingue de la foule civile par le port de l'uniforme. Au sein de la troupe, parmi les uniformes identiques, les experts reconnaissent au nombre de barrettes, à leurs couleurs ordonnancées, leur épaisseur et leur inclinaison, ou bien encore à des étoiles, qui est homme-du-rang, micro-chef, mini-chef, petit-chef, grand chef, maxi-chef, chef supérieur, chef suprême... 
Chez nos "piou-pious" végétaux où l'uniforme est également de rigueur, point de grades hiérarchiques, mais des différences aussi fines qu'évoquent ces clichés. Des différences fines et suffisamment importantes pour que, si l'on contemple chacun d'eux avec un regard humain, il devienne possible de prêter des intentions à leurs postures, des caractères à leurs silhouettes, et, peut-être dans une moindre mesure, des sentiments à leurs visages.  

Tous bombent le torse et même le ventre.

Mais le corps est plus ou moins poilu.
Bien que ne produisant pas de nectar, l'Orchis militaris fait tout ce qu'il faut pour ressembler à une fleur nectarifère afin d'attirer à lui Coléoptères ou Hyménoptères. De petites "houppes purpurines" sont réparties sur le labelle qui, après l'attraction de l'insecte pollinisateur, a pour fonction de lui offrir la piste d'atterrisage.  Au contact des "houppes purpurines", l'excitation tactile de soies détectrices de substances sucrées que porte l'insecte, augmenterait l'efficacité de ce leurre visuel déjà très élaboré.

Tous présentent deux bras et deux jambes séparées par "une petite dent" dit l'un, "un petit appendice médian" dit l'autre de mes ouvrages botaniques... 

Mais comme moi, vous remarquerez que la longueur, la largeur et la coloration de ces pseudo-membres supérieurs comme inférieurs, varie de manière significative, non pas d'une fleur à l'autre, mais de l'inflorescence d'une plante à celle d'une autre. Petits soldats blancs subtilement teintés, trapus et courts sur pattes, voisinent avec de grands dégingandés en pantalons pattes d'éléphant violet soutenu tout droit sortis de la fin des années 60. 

Tous semblent sourire.

Mais comme il est peu probable que les insectes soient sensibles à de supposées expressions de visage, il ne s'agit pas là d'une invitation agissant comme un renforcement du leurre visuel ; juste l'indication du chemin vers l'orifice d'un éperon creux, prolongement arrière du labelle censé contenir du nectar. Non seulement l'insecte ne sera pas récompensé comme c'est le cas chez d'autres Orchidées, mais il ressortira de ce "piège" chargé de sacs de pollen collés sur la tête ou les épaules. 

Tous se présentent la tête casquée vers le haut, le corps ou labelle, incliné vers le ciel.

Mais il n'en a pas toujours été ainsi : alors qu'ils sont encore "enfermés" dans leurs boutons, nos tout jeunes futurs bons petits soldats occupent le haut de l'inflorescence, plissés dans une position inverse, tournés vers le bas. Au fur et à mesure de l'éclosion du bouton floral, le pédicelle (également ovaire), soit le petit centimètre de brin reliant la fleur à la tige, bascule de 180° dans un mouvement de torsion qu'on retrouve chez la plupart des Orchidées et que les botanistes nomment "résupination". Ainsi, après cet exercice de demi-tour militaire accompagnant le passage du stade de poupons-boutons à celui de bidasses-cocasses, seront-ils bien tournés pour accueillir à bras ouverts les insectes venus du ciel. 

Tout comme les militaires dont la vie de caserne est très réglementée, nos Orchis militaris suivent un "parcours du combattant" rigoureusement organisé.

Mais à la différence des militaires qui ont pour missions l'attaque, la défense, la surveillance, le maintien de l'ordre et de la discipline en "jouant avec la mort", le parcours complexe de ces petits virtuoses des stratégies adaptatives n'est tourné que vers la vie et sa reproduction. 

Au fait, voici moins nombreux chez les Alpins, ceux qu'on rencontre au mess des officiers, la bouche en coeur pour lancer des ordres avec un semblant de douceur à une troupe de soldats hilares, disciplinés mais moqueurs : 

Orchis anthropophora, ou Orchis homme pendu.

© F6
 juillet 2018

Pour réunir et illustrer quelques termes

Comments

[xtian]

Ouais, le 7 a quitté Bourg Saint-Maurice ! La décision gouvernementale m'avait paru (et me paraît encore) curieuse, dissoudre une unité dont on a de nos jours besoin comme en Afghanistan, ce ne sont pas des marsouins qui pourraient faire le même job !

Quoi qu'il en soit, Bourg Saint-Maurice a su rebondir et faire de l'ex carré (tous les bâtiments ont été démolis à l'exception de quelques façades), un centre d'activités;

Un bouquet de chrysanthèmes aurait été plus approprié que de jolis orchis ...

[aln03]

Ces militaires je les adore .Bravo pour ces jolies photos !

[emma]

que voilà un texte botanique humoristique des plus passionnants, et une fleur fort curieuse

[gerardphotos29]

Bonsoir Francis, merci pour ta leçon sur ces orchidées. Un vrai bataillon en effet. Bonne soirée

[In the Mirror]

Je n'avais jamais remarqué les poils sur le "torse".

Cette année, je suis passée voir mes "hommes pendus", mais ils n'étaient que boutons.

Que ce soit l'orchis "militaris" ou "lanthropophora", le casque me fait surtout penser à la cornette d'une nonne.

Bel article !