Miséricordes
Ce mot-là, je l'ai sans doute entendu enfant au cours de quelques rares séquences d'éducation religieuse, d'offices obligatoires ou volontaires.
Si lointain des préoccupations enfantines et jamais vraiment bien expliqué, il n'a fait depuis que reposer sans définition claire au fond de ma mémoire.
MISERICORDE est ressorti récemment avec une très vague idée de son sens, imprécis comme celui d'un mot peu connu et inutile, rarement croisé. Quelques recherches plus tard, il demeure confus : de la bonté, une portion d'indulgence, du pardon, un filet de compassion, un zeste de pitié à l'égard de l'autre coupable ou commun des pécheurs... quelle recette complexe de sentiment alambiqué !
Plutôt charitable s'il s'agit d'un état d'âme, "miséricorde" devient assassin quand il est poignard à double tranchant chargé du "coup de grâce" dans la main d'un chevalier.
Je le préfère drôle, voire même coquin quand elles trônent dans le choeur d'un édifice religieux entourant l'autel.
A la Cathédrale Saint Jean-Baptiste
de SAINT-JEAN-DE-MAURIENNE...,
86 sièges sont répartis en deux rangées de stalles formant un demi cercle autour de l'autel. Cet ensemble mobilier achevé en 1498 est finement sculpté dans du bois de noyer provenant d'ARGENTINE, village voisin du fond de la vallée. Si les panneaux arrières des stalles hautes offerts à la vue de l'assemblée des fidèles sont illustrés de scènes à caractère religieux et de saints populaires, l'ornementation plus discrète des sièges et des accotoirs semble bien païenne, hétéroclite ou symbolique.
Les visages sculptés pourraient être ceux des artisans huchiers, de leurs familles, ou bien de proches du chantier. Des objets sont mis en valeur ; parmi ceux-ci, quelques-uns des outils de travail utilisés pour la fabrication des stalles.
L'office religieux alternant les stations assises d'écoute, et debout de recueillement, de chant ou de prière, les simples bâtons du Haut Moyen Âge sur lesquels prenaient appui moines et chanoines sont remplacés par le système ingénieux et surtout plus stable des miséricordes, nommées également patiences ou encore crédences.
L'assise de chaque siège se relève et offre une petite tablette servant de "cale-fesse" qui permet de supporter plus confortablement les stations verticales prolongées. Relevées, les dessous plus coquins des tablettes apparaissent au vu de tous, à condition qu'on le veuille bien et qu'il n'y ait personne devant...
Après les objets moins nombreux, viennent les représentations du monde animal familier : cheval, vache, sanglier, chien...
Plus caricaturés, imaginaires ou lointains : porc-épic, chauve-souris (clouée), tritons, crocodile (?).
"L'escargot-lutin", mi-homme, mi-animal fait une transition coquine vers les galeries de portraits humains.
Les ouvriers jumeaux mal rasés et le blagueur réjoui édenté...
les jeunes pastoureaux peut-être amoureux...
les sérieux, artisan en chef et père supérieur, l'un à l'épaisse chevelure bouclée, l'autre chauve encapuchonné...
la figure étrangère du maure exotique, conquérant ou esclave.
L'ensemble de ces stalles si joliment ornementées dont le bois n'a pas pris une ride, est ancien de plus de 500 ans. Il est le fruit du travail d'un atelier de sculpture genevois dirigé par Pierre MOCHET ou bien Peter VUARSER (1449 - 1505) qui sont probablement une seule et même personne comme le laissent à penser des similitudes dans les travaux réalisés en SUISSE à GENEVE, COPPET et MOUDON, en SAVOIE à TALLOIRES, MONTMIN et SAINT-JEAN-DE-MAURIENNE.
Libre à nous d'imaginer qu'une fois le travail terminé en 1498, Pierre, allias Peter, s'est croisé les bras de satisfaction contemplative ; à moins qu'il n'ait été remercié d'une chaleureuse poignée de mains satisfaite ?
Un détail, celui de la manche différente, permet d'opter pour le salut. La chevalière portée au pouce de la main de droite restera une énigme !
Quant à ce que nous livre cette dernière sculpture, il me plaît d'y voir une éloge de l'unicité humaine par delà d'apparentes différences...,
... comme un message anti-raciste...
adressé du coeur du Moyen Âge.
© F6
6 avril 2017
(encore merci à Catherine et Bernard de nous avoir conduits là le 1er mars 2017)